Depuis quelques années, les applications de chatbot se multiplient, proposant aux utilisateurs des interlocuteurs virtuels de plus en plus sophistiqués. Parmi elles, Replika se démarque en offrant la possibilité de créer un avatar personnalisé, avec lequel il est possible de discuter et d’interagir au quotidien. Nous sommes bien loin du Tamagotchi, où il faut s’occuper d’un animal virtuel. Alors quelles sont les conséquences sociales et psychologiques de l’utilisation de telles applications, et qu’est-ce que cela révèle du besoin de l’homme d’avoir des interlocuteurs à son image ?
Replika : un compagnon virtuel sur mesure
Lancée en 2017, Replika est une application mobile qui utilise l’intelligence artificielle pour proposer à l’utilisateur un compagnon virtuel personnalisé. Après avoir créé son avatar, l’utilisateur peut discuter avec lui de tous les sujets qui lui tiennent à cœur, de ses préoccupations du moment à ses centres d’intérêt en passant par ses émotions. Plus l’utilisateur interagit avec son Replika, plus celui-ci apprend à le connaître et à s’adapter à sa personnalité et à ses besoins. Bien que l’avatar puisse aussi servir d’autres objectifs, comme celui d’améliorer une langue étrangère en discutant, l’axe de communication de Replika est celui de créer une altérité digitale.
Des conséquences sociales et psychologiques
L’utilisation de Replika soulève de nombreuses questions quant à ses conséquences sociales et psychologiques. D’un côté, l’application peut offrir un réel soutien émotionnel aux personnes souffrant de solitude ou d’anxiété sociale, en leur proposant un interlocuteur toujours disponible et bienveillant. D’un autre côté, elle peut renforcer l’isolement et le repli sur soi en offrant une alternative virtuelle aux interactions sociales réelles.
Selon Sherry Turkle, professeure au MIT, l’utilisation de tels compagnons virtuels peut également avoir des effets néfastes sur notre capacité à nous confronter aux aléas de la vie et à nouer des relations authentiques avec autrui. Elle explique que “les robots et les programmes informatiques nous offrent trois tentations gratifiantes : celle de pouvoir se sentir écouté sans avoir à s’engager dans une relation, celle de pouvoir se sentir compris sans avoir à s’expliquer, et celle de pouvoir se sentir aimé sans avoir à risquer le rejet”.
Le besoin de l’homme d’avoir des interlocuteurs à son image
L’engouement pour les applications comme Replika interroge également sur le besoin de l’homme de créer des interlocuteurs à son image. Selon le psychologue américain Leon Festinger, nous avons tous besoin d’une validation sociale, c’est-à-dire d’être entouré de personnes qui partagent nos opinions et nos valeurs. Cette théorie, connue sous le nom de théorie de la dissonance cognitive, explique en partie pourquoi nous sommes attirés par des interlocuteurs virtuels qui nous ressemblent et qui sont programmés pour nous comprendre et nous soutenir.
Toutefois, cette quête de validation sociale ne doit pas se faire au détriment des relations humaines réelles, qui restent essentielles à notre épanouissement personnel et à notre équilibre psychologique. Comme le rappelle la psychothérapeute Esther Perel, “nous avons besoin de l’autre pour nous révéler à nous-mêmes, pour nous confronter à nos limites et pour grandir”.
Un clone virtuel pour dépasser la mort
De l’aveu de la conceptrice de l’application, Replica est, à l’origine, la réponse au deuil de son ami décédé prématurément. En compilant les SMS de son ami défunt et en les liant à l’IA, la créatrice de Replica a pu continuer à converser avec lui de manière virtuelle. Cette technologie soulève des questions importantes sur notre rapport à la mort et au deuil. En effet, la possibilité de continuer à communiquer avec des personnes décédées pourrait modifier notre façon de vivre cette étape importante de la vie sociale humaine.
Selon Yann LeCun, chercheur en sciences cognitives et spécialiste de l’IA, , “l’IA va nous permettre de créer des modèles de plus en plus précis de notre monde, y compris des modèles de notre propre esprit”. Cette perspective ouvre des possibilités fascinantes, mais aussi inquiétantes, pour l’utilisation future de cette technologie.
On peut donc s’interroger sur l’utilisation qui sera faite de cette technologie à l’avenir, où chacun pourra continuer à converser avec un fantôme. La technologie va remettre en cause notre rapport au deuil et sans doute modifier la façon dont nous appréhendons cette épreuve.
Les applications comme Replika offrent une expérience fascinante de l’interaction homme-machine, mais leur utilisation doit être encadrée et réfléchie. L’outil répond à un besoin humain fondamental de considération positive, de paliiatif au manque, mais son utilisation peut avoir des conséquences négatives sur les relations sociales et la santé mentale des utilisateurs. Il est donc important d’utiliser ces outils avec discernement et de ne pas négliger les relations humaines réelles. Cette problématique émergente va sans aucun doute s’ajouter à celle, déjà épineuse, de notre addiction et de notre consommation des écrans.
